éditions bardane

Cet estuaire qui n’existe pas

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Éric Pessan, Encres de Loire, n° 61, automne 2012, p. 20

Cet estuaire qui n’existe pas est une anthologie où la couture des extraits collectés produit un texte autonome. De Rimbaud à Stendhal, de Verne à Balzac, de Forest à Gracq ou de Pinson à Glissant (pour citer des noms presque au hasard), il s’agit ici d’un voyage en quatorze chapitres, un préambule et un épilogue (heureux comme devraient l’être tous les épilogues : « C’est la mer allée / avec le soleil », Rimbaud). Pour se rendre compte des étapes du voyage, il faudrait citer l’intégralité des intitulés de chapitres ; donnons-en deux exemples : « où l’on voit deux voyageurs illustres débarquer sur les quais de Nantes » (chapitre 2) ; « où la terre manque à l’horizon, et l’on s’interroge sur la fin du fleuve » (chapitre 11). En soixante-six fragments issus de grands classiques comme d’auteurs plus confidentiels — voire d’anonymes — les éditions Bardane ont assemblé un magnifique petit ouvrage qui commence à Nantes, suit le fleuve, atteint Saint-Nazaire et n’oublie pas de porter un regard sur le lointain qui s’ouvre au-delà de l’océan. Il ne s’agit ici nullement d’une anthologie touristico-séductrice : les textes font débat, les impressions s’affrontent parfois (le Nantes qui séduit tant Stendhal repousse Philippe Forest) et l’ouvrage a également le grand mérite de convoquer des textes rares. Déambulation littéraire dans l’estuaire de la Loire, ce livre est aussi une très belle réussite graphique, notamment grâce à l’usage de la bichromie, à la mise en page et à l’insertion de cartes. Basées à Nantes, les éditions Bardane présentent ici leur tout premier ouvrage, on attend avec impatience le suivant.

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Laurent Devisme, Place Publique, n° 35, septembre-octobre 2012, p. 113

Deux raisons poussent immédiatement à évoquer cet ouvrage dans Place Publique. D’une part, il est question de cet estuaire de la Loire que l’on voudrait tant fédérateur d’une métropole bipolaire ; d’autre part, il est édité à Nantes par une association qui, faisant écho à la bardane, la plante à l’origine due dispositif du scratch, vise dans son projet éditorial à publier des livres « curieux de la littérature et du monde, des porosités entre les genres et les disciplines (littérature, art, histoire, sociologie…). Elle souhaite former des projets entre littérature, travail sur la langue et attention pour le monde contemporain, tel qu’il est, tel qu’il se fait sous nos yeux, avec nous ou à côté de nous. » (Voir le site Internet de cette toute nouvelle maison d’édition). Cet objectif de décloisonnement et de prise sur les choses est bien salutaire, les différents projets à venir devant tous être coopératifs entre différents mondes de l’art, au sens large du terme. Cette première sortie de laboratoire vient sur un terrain glissant, celui des anthologies ayant la Loire pour objet. Il n’est pas une saison en effet sans voir sortir un énième ouvrage exprimant les territoires ligériens, l’estuaire avec une prédominance des registres paysager, botaniste même si les activités humaines et industrielles ne sont généralement pas négligées. Comment les fragments littéraires ont-il été choisis ? On ne le sait pas vraiment et il faut accepter de dériver avec eux, quatorze chapitres nous menant, à la manière des lettres persanes (« où l’on apprend que… », « où il est dit que… », « où le flâneur, le voyageur, le songeur… »), au travers des siècles et des genres. Chaque chapitre est chronologique, tantôt composé de deux fragments, tantôt davantage. C’est la lecture des aphorismes ponctuant les chapitres qui contribue à guider le lecteur. L’un des intérêts du corpus vient de sa variété et de sa contemporanéité. Car certes on retrouve Gracq, Stendhal, Michelet, Vallès — mais dans le texte ; ce n’est pas plus mal que dans le micro-trottoir qui leur est souvent réservé. Surtout, on rencontre Pinson, Forest, le bureau de la main d’œuvre indigène (auteur du guide de détourisme urbain) et le soixante-sixième fragment est imputé à Philippe Gambert, journaliste à Ouest-France !
À l’occasion on sourit de ce Jules Verne qui décidément vit de ses mythes mais qui doit se contenter de la campagne nantaise (ses souvenirs d’enfance) ; on retrouve ce puissant texte de Forest (une contribution à Libération) qui a probablement inspiré le titre de ce livre : « Nantes est une ville qui n’existe pas » relit-on sous sa plume, p. 47. D’autres faits de langage convoquent Chantenay, le quartier du champ de Mars, Couëron, Indret, Saint-Nazaire. Les chapitres sont tous ouverts par d’autres fragments : cartographiques cette fois, ils enclenchent la méditation car œuvrent à un décalage des références. La Loire apparaît d’abord marron — ce qu’elle est presque toujours en fait — puis la Brière violacée, d’autres rivières orangées. Apparaissent progressivement d’autres empreintes, signes plus ou moins étranges : est-ce le dessin du sillon de Bretagne, s’agit-il de parcs nantais, d’échangeurs autoroutiers ? Sûrement mais c’est ici que la déambulation se fait active : marche sans but précis, propice aux énigmes d’un estuaire qui a déjà bien fait couler d’encre. Dans un court montage vidéographique projeté lors d’une Conférence métropolitaine, Jean Rouaud passait, lui, du lugubre « désormais on ne fera plus rien de l’estuaire » à une promesse : « l’estuaire est à inventer ». Peut-être cette anthologie peut-elle y contribuer ?

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Louise Pahun, Ouest-France, 22 août 2012

Voyage littéraire le long de l’estuaire. Trois questions à…
Laurent Huron et Morgane Enjalbert, auteurs de Cet estuaire qui n’existe pas.
Quel est ce suspens qui plane dans le titre ?
L’estuaire de Nantes à Saint-Nazaire est un lieu de traverse. Passé Le Pellerin, l’eau change, l’espace s’ouvre brusquement et il n’y a presque plus de paysage. Nous sommes un peu dans une atmosphère hollandaise. Cet imaginaire n’est pas celui d’un lieu touristique et l’estuaire, par le passé, n’a pas eu cette vocation. Dans cet espace, le voyageur ne s’arrête pas, il circule. Nous l’invitons à poser un regard littéraire sur ce territoire.
Comment circule-t-on dans le recueil ?
Les points d’entrée sont nombreux. La lecture est simple et aérienne, facilitée par la construction en chapitres et le graphisme, inspiré de cartes. L’organisation est d’ailleurs surtout géographique. Le lecteur embarque à Nantes, glisse vers Chantenay et Couëron avant d’aborder le port de Saint-Nazaire. Le fil d’Ariane demeure la Loire. De plus près, l’organisation est thématique. À Couëron par exemple, avec les textes de Fernandez ou de Dontzow, le lecteur arpente une littérature plus populaire. Enfin, l’enchaînement est chronologique puisque nous avons flâné dans le temps, de Rabelais jusqu’à des auteurs contemporains comme Forest.
Comment avez-vous sélectionné les textes ?
Nous avons charrié beaucoup de matière littéraire. Cet espace nous est connu car nous y vivons et nous y avons travaillé. Nous avons joué sur la variété des styles, du récit de voyage au roman, en passant par la poésie. Il fallait que les textes s’enchaînent et se répondent les uns les autres. Et puis il y a eu de belles surprises. Le texte de Nabokov, de passage à Saint-Nazaire avant d’embarquer pour les États-Unis, ne s’épuise pas. Aussi, cette surprenante allusion de Rimbaud aux constructions navales de Nantes. Les fragments donnent envie d’embarquer encore plus loin.

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Stéphane Pajot, Presse-Océan, 12 août 2012

Les amoureux de la littérature et l’estuaire sont servis. 66 fragments invitent désormais à déambuler.

Même Arthur Rimbaud est de la partie (!) — il fallait le dénicher — et c’est là toute la magie de ce projet de littérature, made in Nantes, qui entendait réunir des fragments « pour une déambulation littéraire dans l’estuaire de la Loire ». Pari réussi haut la main, par la jeune association nantaise Bardane, pilotée par Laurent Huron, Morgane Enjalbert, prof des Écoles et le graphiste Yves Leclere. D’une rare classe, ce bel objet sur le plan graphique, convoque avec goût de grands noms de la littérature (Flaubert, Jules Verne, Paul Nizan, Jules Michelet) et ouvre ses pages à des plumes nantaises, belles et audacieuses, de Jean-Claude Pinson à Michel Chaillou.
Nabokov est aussi embarqué dans ses «fragments » à Saint-Nazaire
« On ne voulait pas réaliser une anthologie classique avec l’exhaustivité mais plutôt partir sur des fragments », indique Laurent Huron qui dirige la collection des Carnets d’Usines (éditions MeMo) et travaille pour l’association Entreprises et patrimoine industriel. Depuis plusieurs années, cet amoureux de la littérature, collecte des citations sur l’estuaire. D’où l’envie de réaliser cet ouvrage Cet estuaire qui n’existe pas afin de faire partager les trouvailles. « Ensuite, nous avons contacté les éditeurs et les auteurs pour avoir les droits de publication ». Le résultat est une petite mine d’or avec sa pépite. Ils ont trouvé un lien avec Rimbaud et Nantes. « Nous l’avons trouvé dans l’une de ses correspondances de 1887 ; il cite un dénommé Soleillet, son compatriote, qui fait construire une embarcation spéciale à Nantes ». Vladimir Nabokov est aussi embarqué dans ses « fragments » à l’occasion d’un départ depuis Saint-Nazaire pour New York en 1940. On ne peut qu’applaudir cette invitation, tant l’exercice est périlleux, au voyage à Nantes et dans l’estuaire. Ce premier ouvrage prometteur est disponible dans toutes les bonnes librairies.